Pierre CLAVERIE ,
         un Algérien par alliance

                        
                    Ed. du Cerf                                                                                           J-J. Pérennes - P.Euzière

 

Né à Bab El Oued, nommé Evêque d’Oran en 1981, Pierre Claverie a été assassiné par les terroristes islamistes le 1er août 1996 en compagnie d’un jeune Algérien musulman.
Un symbole de ce qu’il appelait « une solidarité bâtie dans le sang versé ensemble ».
Face à la montée de la violence et de l’intolérance, Pierre Claverie avait choisi de « partager la vie d’un peuple, de vivre, aimer, être heureux, se battre, souffrir et mourir avec ce peuple ».

C’est l’histoire exemplaire de ce Dominicain et de son combat pour une « humanité plurielle, non exclusive » que retrace le livre « Pierre Claverie, un Algérien par alliance » que Jean-Jacques Pérennes - aujourd'hui, à l'Institut Dominicain d'Etudes Orientales au Caire (IDEO) – économiste, spécialiste des questions de formation, connaisseur de l’Algérie où il a vécu dix ans et proche de P. Claverie, est venu présenter à Grasse, à l’initiative du Festival TransMéditerranée, le 6 mars 2001.

 

Hommage de Zazi Sadou *

A mon frère, l’évêque d’Oran.


Il y a des morts qui continuent l’œuvre de leur vie. C’est le cas de Pierre Claverie, évêque de l’église d’Algérie. Il a donné sa vie pour cette « humanité vraie » où chaque être humain doit avoir le plus grand respect de l’autre, surtout s’il est différent. Sa générosité, son humilité, sa rage de vivre, sa confiance en l’Homme lui valent tout le respect dû à un être d’exception. Assassiné par les intégristes islamiques, l’homme de lumière et de fraternité n’est pas mort. « Ils ont tué notre Evêque … » Les Algériens musulmans pleurent la perte d’un des leurs. « Nos sangs sont mêlés » ne cessait de dire Pierre Claverie à ceux qui ne comprenaient pas ou ne voulaient pas comprendre pourquoi ces hommes et ces femmes venus d’ailleurs et qui se font tuer s’acharnent à s’accrocher à cette terre qui, en apparence, ne voudrait pas d’eux. Après son bouleversant enterrement, sa sœur, présente parmi tous ceux venus de partout lui rendre un vibrant hommage, confia à une amie : « Maintenant je comprends mieux pourquoi Pierre est resté… ».

Avec le sel partagé et le sang mêlé, aucune force ne peut plus rompre ce lien de fraternité que Pierre Claverie, les sept moines et plusieurs milliers de martyrs ont scellé par leur sacrifice. Quel autre bel hommage que celui d’Oum El Kheir qui prendra la parole dans ce lieu de culte qui n’est pas le sien, la modeste église de St Eugène, quartier populaire d’Oran, pour lui dire : « tu étais mon père, tu étais mon frère, tu étais celui qui m’a appris à être musulmane ».

Il y a ainsi des rencontres qui marquent à jamais. La mienne avec Pierre Claverie en est une. Notre propos immédiat avait porté sur notre pays, son drame, mais surtout nos espérances. Comme beaucoup des miens, j’avais très souvent entendu parler de cet évêque frondeur, fonceur, courageux refusant le goût de la langue de bois. Jusqu’au jour où j’ai eu le privilège et le bonheur de le rencontrer. Il est – je ne peux l’évoquer qu’au présent – de cette trempe d’hommes qui font face au désespoir par l’action. Notre dernière rencontre a eu lieu à Bastia en juin dernier, lors du colloque
« Méditerranée, carrefour des solidarités » (1). Nous avons formé avec Souheib Bencheikh, grand mufti de Marseille, cette « trinité », comme l’a défini un participant, où nous avons pu partager chacun à notre façon notre amour commun de notre pays meurtri. Par sa présence, sa générosité, sa force de conviction, son humour, Pierre Claverie a su dire à tous ceux qui l’ont écouté combien cette Algérie si farouche, si belle et si résistante était la sienne. Son témoignage fut exceptionnel. Il avait un regard admiratif pour Souheib, il ne cessait de me dire en entendant parler de laïcité ce jeune Imam : « Qu’est-ce qu’il est courageux ! » et Souheib d’exprimer le même sentiment à l’égard de l’évêque irréductible qui racontait ses déplacements sur les routes de l’ouest algérien pour aller rendre visite à ceux qui avaient besoin de sa présence. Puis tous deux de parler des femmes d’Algérie « belles et rebelles » et d’affirmer que l’Algérie nouvelle est en train de naître.

A la clôture du colloque, une journaliste lui demandait pourquoi il repartait en Algérie. Sa réponse fusa, tranquille : « On n’abandonne pas ses amis pendant la tourmente. Je suis heureux de rentrer demain. Je vais retrouver les miens car ma place est là-bas … ».
Mon frère Pierre Claverie n’a pas quitté les siens pendant la tourmente, il est toujours parmi nous, présent. De nos sangs mêlés naîtra cette Algérie de nos rêves : républicaine, démocratique, plurielle.
Une Algérie pour tous : qu’il soit chrétien, musulman, juif ou laïque.


Zazi SADOU
Porte-parole du Rassemblement des femmes démocrates (RAFD)

* "Révolution" Septembre 1996.

 




Juin 1996 - Bastia -
De gauche à droite / Soheib BENCHEIKH, Zazi ZADOU, Pierre CLAVERIE

(1) Organisé par le Festival TransMéditerranée, la CCAS et la Ville de Bastia.