Pourquoi ce titre ? Il devient difficile, voire impossible aujourd’hui, de parler de mafia au singulier face à la diversité et la multiplicité du phénomène mafieux. Diversité dans l’espace et dans les genres. Les évolutions - et bouleversements - de ces 20 dernières années ont vu se développer des formes ‘nouvelles’ de mafia et de crime organisé : disparition du bloc des pays de l’Est, mondialisation néo libérale, construction de l’Europe des marchés et de la circulation des biens, des services et des capitaux, migrations, développement des NTIC, urbanisation, financiarisation …

Ces facteurs n’ont pas relégué aux oubliettes la mafia classique et traditionnelle (Cosa Nostra, Camora, N’Dranguetta, Sacra Corona Unita…) qui a su les intégrer et s’y adapter. C’est l’une des caractéristiques particulières de ces organisations : l’aptitude à s’adapter aux mutations sociales, politiques et économiques de la réalité dans laquelle elles opèrent.

Cet intitulé ne signifie donc pas qu’il y aurait les vieilles mafias et les nouvelles.
Il veut dire les évolutions de cette forme d’organisation criminelle, sa capacité d’adaptation, et son développement considérable en puissance économique, politique et même militaire.

Le colloque de Bastia n’a pas la prétention d’aborder l’ensemble des problématiques posées par ses développements.
Il s’intéressera plus particulièrement à l’espace méditerranéen et aux questions qui nous lient inévitablement à nos voisins italiens.
Ainsi, autour de magistrats, historiens, journalistes, responsables associatifs, éducateurs…italiens et français (voir liste des intervenants), le colloque de Bastia propose de traiter les thèmes suivants :

- Mafias et mondialisation
- Construction de l’Europe, services publics et mafias
- trafics et filières en tous genres : main d’œuvre , prostitution, drogues…
- Depuis le 11 septembre, quelle place pour la lutte contre les mafias et le crime organisé ?
- légalité, citoyenneté, justice sociale : des armes contre les défis mafieux



Les travaux, ouverts au public, se déroulent en 3 séances plénières, sous formes d’exposés, table-ronde et débats. (samedi de 10h30 à 13h00 et de 14h30 à 18h30 et dimanche de 10h00 à 13h00)

Ils seront ponctués le samedi 2 octobre en soirée de la projection d’un film suivie d’un débat : « I Cento passi » (Les Cent Pas)de Marco Tullio Giordana (2000) Primé aux Festivals de Venise, de Sao Paulo et Bruxelles et prix du public à Bastia
Débat en présence de Giovanni Impastato, frère de Peppino, héros du film, et vice président du centre d’information et de documentation sur la mafia
Les cent pas c’est la distance qui sépare à Cinisi, en Sicile, la maison de Peppino Impastato de celle du boss mafieux Badalamenti.
En grandissant Peppino se rebelle et se sert de la radio locale où il travaille bénévolement pour combattre « La Pieuvre » à ses risques et périls… Nous sommes dans les années 60.

Un film magnifique tiré de l’histoire vraie de P. Impastato dont le centre de documentation sur la mafia, à Palerme, porte aujourd’hui le nom.

 

Discours d'ouverture

 

Paul EUZIERE,


Depuis que nous avons accueilli, il y a trois jours, la caravane anti-mafias, de nombreuses questions nous ont été posées, à nous co-organisateurs français comme à nos amis italiens. Elles sont révélatrices des questionnements multiples et riches que soulève cette initiative.

La question des questions, c’est pourquoi cette manifestation non pas sur la mafia, mais sur les mafias, ici ?
Ici, en Corse où nous sommes aujourd’hui ; mais aussi « pourquoi ici ? » dans le Var où nous étions hier comme avant hier aussi ce « pourquoi ici ? » dans les Alpes-Maritimes.

En clair, partout, on se demande les raisons d’une initiative dont à première vue on ne voit pas toujours bien le lien avec notre univers quotidien. Tout se passe finalement, un peu à la manière de cette anecdote que nous racontait récemment le professeur Enzo Ciconte, éminent spécialiste de la ‘Ndrangheta – la mafia calabraise – quand il était enfant et qu’il entendait parler les gens d’une localité sur la mafia ; la mafia, c’était toujours le village voisin : les autres, quelque chose d’extérieur, d’étranger, alors que, bien évidemment la mafia était, partout, présente.

A bien regarder, je crois que l’on peut, vérifier partout la pertinence de cette observation, non seulement en Italie où contrairement à ce qu’une certaine imagerie, pour ne pas dire folklorisation, du crime organisé peut laisser croire, la mafia et les mafias sont loin d’être un phénomène méridional, (le nord - le Nord « la Padanie » … - étant intrinsèquement sain )– mais vérifier aussi la pertinence de cette observation en France aussi, où les activités du crime organisé ne concernent pas seulement le Sud-Est et la Corse, autres régions largement folklorisées, mais l’ensemble du territoire national, comme le démontrait dès le début des années 90 une commission parlementaire qui a étrangement plongé, depuis, dans un sommeil sans rivage…

Non la réalité est aujourd’hui toute autre.

Depuis « l’Uruguay Round » et la création en 1995 de l’OMC, a été mis en route un processus de « mondialisation » dominé par les marchés financiers qui opèrent désormais les régulations économiques et sociales en fonction de la seule exigence de rentabilité des capitaux. Dans ce cadre, on a uniformisé les règles afin que les capitaux puissent circuler librement sur toute la planète et s’investir là où ils sont susceptibles de trouver une rentabilité maximale.

Or, l’exigence des marchés d’abolir les réglementations et de supprimer les contrôles étatiques renforce simultanément la criminalité organisée dont on constate une hausse vertigineuse depuis une vingtaine d’année au point que toute l’économie mondiale est contaminée. On estime à 15% du commerce mondial le produit criminel brut (PCB).
Participent à ce mouvement, non seulement les quatre mafias « historiques » d’Italie : la Mafia sicilienne, la Camorra napolitaine, ‘Ndrangheta calabraise et la Sacra Corona Unita des Pouilles, mais la mafia italo-américaine « Cosa Nostra », les mafias turque, albanaise, kossovare, russe, les Yakusas japonais, Triades chinoises et les « cartels » sud-américains. Elles se partagent les marchés et les activités au niveau mondial.
Non seulement ces mafias défient et quelquefois mettent en échec les Etats qu’elles investissent et servent -et dont elles se servent- mais elles jouent un rôle clef au plan des économies y compris de pays aussi développés que le Japon (Guilhem Fabre ici présent qui est auteur d’un remarquable ouvrage sur ce sujet abordera sans doute cette facette trop méconnue de l’économie du crime organisé).
On le voit, nous entendons aborder cette réflexion ici en Corse avec l’apport d’éminents spécialistes français et étrangers spécialistes par leurs recherches ou par leur engagement professionnel, associatif ou politique.
Car, c’est l’une des originalités à la fois de notre association Festival TransMéditerranée et de cette caravane anti mafias qui regroupe trois grandes fédérations italiennes d’associations l’ARCI (1 200000 adhérents), « Libera » (1 200 associations anti mafias) et « Avviso Publico » réseau antimafieux de collectivités territoriales, nous souhaitons faire réfléchir et agir chacun, à partir de problématiques citoyennes et de défis communs.

Ce colloque international ici ne doit donc rien au hasard, ni d’ailleurs à une conjoncture particulière.
Le Festival TransMéditerranée a organisé en Corse, et en Provence, depuis douze ans de nombreuses manifestations de tous types sur ces questions de criminalité organisée.
Dès 1995, à l’invitation de l’UR Corse de la CCAS, nous avons reçu à Ajaccio pour une remarquable conférence l’emblématique maire de Palerme, Léoluca Orlando, qui est revenu quelques mois plus tard -en juillet 1996- à l’occasion du baptême de la « Rue du Juge Falcone » à Bastia.

Nous sommes donc en continuité dans le temps et dans l’espace avec notre action, quand nous venons ici avec la caravane anti mafias de nos amis italiens pour cette initiative.
Nous avons sans doute beaucoup à apprendre du combat citoyen, pied à pied, de la société civile, mais aussi des professionnels magistrats notamment, syndicalistes et aussi hommes politiques (tous heureusement, ne sont pas corrompus) d’Italie et singulièrement de ce Mezzogiorno tant stigmatisé.

Je voudrais saluer leur courage au quotidien –celui des femmes en premier lieu dont on oublie trop l’engagement déterminant et déterminé- bien souvent au cœur des fiefs mafieux. Saluer aussi la créativité citoyenne qui s’exerce dans la gestion des biens que la société, grâce à la loi, a permis de récupérer sur le patrimoine des mafieux. L’exemple de l’Italie, et d’abord de la Sicile, face au crime organisé n’est pas celui d’une fatalité, mais d’un courage citoyen lucide et inventif, solidaire et porteur d’avenir.

Face à ceux qui en Sicile prétextant la « Sicilianité » et les particularismes de la culture et des traditions pour mieux faire avancer le nivellateur de la mondialisation et la loi du profit, les forces vives de Sicile et d’Italie répondent par la mobilisation citoyenne et l’exigence de transparence absolue et de démocratie réelle. Quelle plus belle réponse universelle aux défis mafieux que ce cheminement acharné pour la légalité démocratique et la justice sociale ?

 

LES INTERVENANTS

Bruno BELOTTI, archéologue, professeur d’histoire
Christian BLICQ, secrétaire fédéral CGT chargé de la santé au travail
Anna BUCCA, chargée des questions internationales à ARCI Sicile, membre fondatrice de la caravane
Micaela CASATI, militante du réseau associatif pour la caravane anti mafias
Giancarlo CASELLI, Procureur général de Turin, ancien procureur général de Palerme après la disparition du juge Borsellino, ancien commissaire européen chargé de la Justice
Paul EUZIERE, Président du Festival TransMéditerranée, Membre du Comité de rédaction des revues La Pensée et Recherches Internationales
Guilhem FABRE, socio économiste, sinologue, membre de l’Institut Universitaire de France, professeur à la faculté des affaires internationales de l’Université du Havre, auteur de ‘Les prospérités du crime : crises financières et blanchiment’ (l’Aube 1999)
et du rapport de l’ONU « Globalisation, drugs and criminalisation »
Francesco FORGIONE, journaliste à Liberazione, député au parlement de Sicile, membre de la commission anti mafia, auteur de « Amici come Prima » (Storie di mafia et politica nella Seconda Repubblica) Ed Riuniti 2004 et de « Oltre la Cupola » (1994)
Jole GARUTI, Professeur, présidente de Libera Lombardie
Nicolas GIANNAKOPOULOS, Président de l’Observatoire du Crime Organisé, Genève
Giovanni IMPASTATO, Vice Président du centre de documentation sur la mafia, Palerme
Luigi LUSENTI, responsable national de ARCI
Anna Lisa MANDOLONI, militante du réseau associatif pour la caravane anti mafias
Eduardo MADONINI, militant du réseau associatif pour la caravane anti mafias
Ange ROVERE, historien, directeur de la revue d’Etudes Corse, 1er adjoint à la ville de Bastia, coauteur de « La Corse et la République » (Le Seuil 2004)

Ils ont dit:

Paul EUZIERE, président du FTM, collaborateur aux revues La Pensée et Recherches Internationales, auteur d’articles sur les mafias et la mondialisation.
(…) La mafia et les mafias sont loin d’être un phénomène méridional. Les activités du crime organisé ne concernent pas seulement le Sud-est et la Corse, mais l’ensemble du territoire national, comme le démontrait dès le début des années 90 une commission parlementaire qui a étrangement plongé, depuis, dans un sommeil sans rivage…(….) Depuis la création de l’OMC en 1995 (…) l’exigence des marchés d’abolir les réglementations et de supprimer les contrôles étatiques renforce simultanément la criminalité organisée dont on constate une hausse vertigineuse depuis une vingtaine d’années au point que toute l’économie mondiale est contaminée. On estime à 15% du commerce mondial le produit criminel brut. (PCB)

Francesco FORGIONE , journaliste à Liberazione, député au parlement de Sicile, membre de la commission parlementaire anti mafia, auteur de « Amici come Prima » (Storie di mafia et politica nella Seconda Repubblica) Ed Riuniti 2004 et de « Oltre la Cupola » (1994)
Ce qui caractérise aujourd’hui les organisations criminelles c’est leur dimension transnationale, leur multidisciplinarité, leur capacité à utiliser toutes les opportunités pour introduire leurs capitaux dans le circuit financier « légal ».
C’est pour cela qu’il est préférable désormais de parler de « composante criminelle » de l’économie mondialisée.(…)
En Italie, le crime organisé est la 2è entreprise après Fiat. Et ce n’est pas seulement un entreprise « économique ». Les mafias établissent des relations politiques étroites au point qu’elles transforment la nature du pouvoir. Cela est vrai en Italie, mais aussi au niveau mondial. Il y a une duplicité des Etats : une face légale, citoyenne, démocratique et une face de grande organisation mafieuse.

Guilhem FABRE
, socio économiste, sinologue, membre de l’Institut Universitaire de France, professeur à la faculté des affaires internationales de l’Université du Havre, auteur de ‘Les prospérités du crime : crises financières et blanchiment’ (l’Aube 1999) et du rapport de l’ONU « Globalisation, drugs and criminalisation »
L’histoire de la corruption mondialisée est inséparable de l’histoire politique. La corruption tend à devenir l’arme même du crime -et du pouvoir. (…)
La mondialisation des échanges facilite les réseaux multi-services : drogues, armes, main d’œuvre, proxénétisme, véhicules volés, objets d’art…
Les investissements de l’économie criminelle privilégient les investissements spéculatifs à très court terme (immobilier, tourisme, bourse…). La dynamique du blanchiment, dans les conditions de la dérégulation, de la privatisation des monopoles publics, crée les conditions de dévalorisation du cadre légal et d’une institutionnalisation progressive de la sphère criminelle. On assiste à une convergence entre les sphères licite, illicite et criminelle. Les liens sont de plus en plus ténus entre l’économie criminelle et l’économie légale.


Nicolas GIANNAKOPOULOS
, Président de l’Observatoire du Crime Organisé et de Inside.co, réseau d’investigation et d’analyses sur le crime organisé
Les organisations criminelles sont souvent nées du grand banditisme. Mais c’est surtout le changement des modes de productions qui est l’élément déclenchant (ex : l’ex URSS qui est passé d’un mode de production centralisé à un mode de production décentralisé). Elles se développent d’autant plus facilement dans des situations de conflits (populations fragilisées, circulation des armes…). Leurs ressources principales sont le marché et la violence.

Ange ROVERE
, historien, directeur de la revue d’Etudes Corse, 1er adjoint à la ville de Bastia, coauteur de « La Corse et la République » (Le Seuil 2004)
La Corse est un véritable laboratoire institutionnel du désordre organisé par l’Etat. C’est l’un des points d’ancrage sur lequel se développent toutes les dérives. (…) L’Etat a sacralisé et légitimé certaines formes de violence de même qu’il a théorisé la « dérive identitaire ». Cela se traduit par un recul organisé de l’Etat républicain et crée un contexte structurant pour toutes les dérives (nationaliste, identitaire, mafieuse).

Anna BUCCA
, chargée des questions internationales à ARCI Sicile, membre fondatrice de la caravane anti mafias
Il existe une histoire de l’anti mafia qu’il faut faire connaître. Avec cette caravane nous voulons montrer qu’il y a la place pour la liberté et la démocratie en Sicile. C’était aussi, après les assassinats des juges Falcone et Borsellino, un signal concret qu’il était possible de faire bouger les choses.


Interview 

 

La mafia tue à Palerme, elle blanchit à Milan, Londres, Paris…

Rencontre avec Giancarlo Caselli, Procureur général de Turin,
ancien procureur général de Palerme (après l’assassinat par Cosa Nostra du juge Borsellino) membre de EuroJust (coordination de magistrats de pays membres de l’Union Européenne).

Il a notamment instruit le procès de l’ancien premier ministre italien Giulio Andreotti.

L’éminent magistrat italien a fait le déplacement à Bastia où il a particpé au colloque
« De la mafia aux mafias » organisé par le FTM et la Ville de Bastia.


Il évoque, pour l'Humanité et le PCA Hebdo, les mafias et leurs évolutions dans le contexte de la mondialisation libérale.

De quelle manière la mafia utilise-telle les canaux de la mondialisation ?

Giancarlo Caselli : Il faut parler de mafia au pluriel. Il y a les mafias italiennes suivant les régions (Camora, N’Dranguetta, Sacra Corona…), la mafia nigériane, albanaise, chinoise, russe, japonaise… Réduire le mot mafia à un singulier peut être dangereux. Ces mafias accumulent une énorme richesse par le biais d’activités illicites (racket, trafic de drogue, d’armes, d’êtres humains, d’organes, de déchets toxiques…) et elles doivent blanchir cet argent. Ce blanchiment se fait au travers de circuits financiers qui sont ceux du marché mondialisé lequel se caractérise par une extrême rapidité des échanges. Les mafias s’y intègrent très facilement. D’où la nécessité de coordonner l’activité des Etats pour lutter contre l’influence grandissante des mafias et le recyclage, et surtout, commencer par les paradis fiscaux qui sont de véritables trous noirs absorbant les profits de cet argent blanchi.

Comment les mafias se sont-elles réorganisées pour s’adapter au monde d’aujourd’hui ?

Giancarlo Caselli
: Chaque mafia est particulière. Je connais plus spécialement la mafia sicilienne, Cosa Nostra. Elle existe depuis 150 ans et réussit, en permanence, à se renouveler et à s’adapter aux conditions nouvelles pour pouvoir survivre. Dans le cas de Cosa Nostra on a une organisation qui, pour résister aux changements et aux périodes de crise, est extrêmement forte, très bien structurée ; elle est à la fois pyramidale mais aussi (éparpillée) répartie sur le territoire. Elle est bien sûr riche, mais surtout puissante par les relations qu’elle a pu entretenir et qu’elle a développées. Elle jouit d’une complicité à tous les niveaux. Mais cette implantation et ce pouvoir s’expliquent aussi par le fait qu’il existe des mythes comme celle de l’homme d’honneur ou cette croyance selon laquelle c’est la mafia qui donne du travail. Des mythes qui permettent à la mafia de jouir d’une certaine popularité.

On n’a pas vraiment l’impression que les Etats mènent un véritable combat contre ces mafias, au contraire on voit des collusions importantes. En tant que magistrat, est-ce que vous ne vous sentez pas un peu seul dans ce combat ?

Giancarlo Caselli :
Face à la mondialisation du crime, il faudrait que les Etats puissent coordonner leurs actions. Le crime organisé - dans toutes ses dimensions - s’insère facilement dans le 21è siècle, il sait utiliser les atouts de la modernité et ne connaît pas de frontières. Ce qui n’est pas le cas des appareils d’Etat qui continuent à fonctionner de manière archaïque. Il existe, cependant, des outils pour lutter de façon transnationale contre la criminalité. Il y a eu une conférence de l’Onu à Palerme en 2001. Elle a adopté une convention contre le crime international qui stipule que les pays doivent lutter ensemble contre le crime organisé. Il existe également Eurojust (coordination de magistrats) et Europol (coordination des polices) qui pourraient lutter plus efficacement s’ils avaient plus de moyens financiers et humains. La magistrature n’est pas dotée de grands moyens ce qui, de fait, renforce le pouvoir de la mafia car les gens ont moins confiance en la justice et restent soumis à l’omerta, la loi du silence.

Est-ce que les citoyens peuvent réellement faire quelque chose contre les mafias ?

Giancarlo Caselli :
en effet, si l’Italie, dit-on, est le pays des mafias, c’est aussi celui des anti mafias. L’Italie a su trouver des formes de réponses aux niveaux législatif, judiciaire et de la société civile. C’est le cas par exemple de la confiscation des biens des boss mafieux affectés à des actions d’intérêt collectif (coopératives, centres éducatifs, sociaux et culturels…).
Cela dit, chaque citoyen peut intervenir à son niveau. La lutte contre la mafia n’est pas seulement l’apanage de la police et de la magistrature. Il faut une prise de conscience du rôle négatif de la mafia et de son caractère global. En réfléchissant, les gens s’aperçoivent vite que la mafia ce n’est pas seulement une question criminelle, mais c’est aussi une question économique, sociale et politique. C’est l’appauvrissement d’une région (le Sud) parce que la mafia empêche le développement de l’économie. Une étude démontre que du fait de l’activité mafieuse il y a un manque à gagner annuel de 180 000 emplois en Sicile. La perte financière est estimée à 7,5 milliards d’euros /an. Sans la mafia, le PIB du sud de l’Italie serait égal à celui des provinces du centre-nord de l’Italie. Il faut convaincre les gens que sans la mafia ils vivraient mieux.

La caravane anti-mafia a donc un sens aux yeux du magistrat que vous êtes ?


Giancarlo Caselli :
Les produits présentés par cette caravane, qui proviennent des coopératives issues des terres confisquées aux mafieux (semoule, pâtes, vin…) sont l’expression même que la légalité permet de restituer aux gens ce que la mafia leur a dérobé. Grâce à ces coopératives, c’est un peu de travail pour des jeunes qui n’en avaient pas jusque là.

Entretien réalisé par Pierre Barbancey (traduction de Bruno Belotti)

 

 

Parmi les intervenants français invités à participer à l’initiative de la caravane anti-mafias en France et en Italie


Roger-Louis BIANCHINI
, journaliste, spécialiste de la mafia et de la criminalité organisée, auteur de plusieurs ouvrages dont « Mafia, Argent et Politique » (Le Seuil 1995)
Christian BLICK, syndicaliste Fédération CGT de la Construction
Dominique BUCCHINI, élu à l’assemblée territoriale de Corse, ancien maire de Sartène, auteur de « De la Corse en général et de quelques vérités en particulier » (Plon 1997)
William CARUCHET, avocat au barreau de Nice
Antoine CASANOVA, historien, Directeur de la revue La Pensée
Paul EUZIERE, Président du Festival TransMéditerranée, membre des Comités de rédaction de Recherches Internationales et La Pensée.
Guilhem FABRE, socioéconomiste, sinologue, membre de l’Institut Universitaire de France, auteur de ‘Les prospérités du crime : crises financières et blanchiment’ Ed. de l’Aube 1999
Serge GARDE, journaliste d’investigation, spécialiste du crime organisé, auteur notamment de « Les beaux jours du crime. » Plon 1992 ; « Le Livre de la Honte » (Le Cherche-Midi 2001)
Nicolas GIANNAKOPOULOS, Président de l’Observatoire du Crime Organisé, Genève.
Nacer LALAM, économiste, chargé de recherches à l’Institut National des Hautes Etudes de Sécurité, spécialiste des drogues, auteur notamment de « Drogue et Techno » (Stock 2000)
Jean de MAILLARD, magistrat, spécialiste des questions de corruption et de blanchiment, auteur de plusieurs ouvrages dont « Crimes et Lois » (Flammarion 1994) « L’avenir du crime » Flammarion 1997 ; « Un monde sans loi » (Stock 1998)…
Ange ROVERE, historien, chargé de la revue d’Etudes Corse, 1er adjoint à la ville de Bastia, coauteur de « La Corse et la République » (Le Seuil 2004)
Jacques VALLET, syndicaliste Fédération CGT de la Construction

Parmi les intervenants italiens invités à participer à l’initiative en France

Anna BUCCA, chargée des questions internationales à ARCI Sicile, membre fondatrice de la caravane, interprète
Giancarlo CASELLI, Procureur général de Turin, ancien procureur général de Palerme après la disparition de Borsellino, ex commissaire européen chargé de la Justice
Enzo CICONTE, historien, auteur d’ouvrages sur l’histoire des mafias, notamment sur la N’Dranguetta, membre de la commission parlementaire anti mafia
Don Luigi CIOTTI, président des groupes Abele et Libera
Francesco FORGIONE, journaliste à Liberazione, député au parlement de Sicile, membre de la commission anti mafia, auteurs de plusieurs ouvrages d’investigation sur les mafias
Alfio FOTI, président de ARCI Sicile, membre fondateur de la caravane, coordonnateur national de la caravane
Jole GARUTI, présidente de Libera Lombardie
Giovanni IMPASTATO, vice président du centre de documentation sur la mafia, Palerme
Luigi LUSENTI, responsable national de ARCI
Paolo ODELLO, journaliste
Nicola TRANFAGLIA, historien université de Turin, directeur de la Revue d’Etudes Historiques
Lorenzo TRUCCO, avocat à Turin, président de l’association Etudes Juridiques sur les Migrations

Et avec la contribution de Mahi BINEBINE, écrivain et peintre marocain

 

Retour HAUT de PAGE

 

 

COLLOQUE ANTI - MAFIAS - BASTIA - 2004 - FTM

" DE LA MAFIA AUX MAFIAS "