Pourquoi ce titre ? Il devient difficile, voire impossible
aujourd’hui, de parler de mafia au singulier face à la diversité
et la multiplicité du phénomène mafieux. Diversité
dans l’espace et dans les genres. Les évolutions - et bouleversements
- de ces 20 dernières années ont vu se développer des
formes ‘nouvelles’ de mafia et de crime organisé : disparition
du bloc des pays de l’Est, mondialisation néo libérale,
construction de l’Europe des marchés et de la circulation des
biens, des services et des capitaux, migrations, développement des
NTIC, urbanisation, financiarisation …
Ces facteurs n’ont pas relégué aux oubliettes la mafia
classique et traditionnelle (Cosa Nostra, Camora, N’Dranguetta, Sacra
Corona Unita…) qui a su les intégrer et s’y adapter. C’est
l’une des caractéristiques particulières de ces organisations
: l’aptitude à s’adapter aux mutations sociales, politiques
et économiques de la réalité dans laquelle elles opèrent.
Cet intitulé ne signifie donc pas qu’il y aurait les vieilles
mafias et les nouvelles.
Il veut dire les évolutions de cette forme d’organisation criminelle,
sa capacité d’adaptation, et son développement considérable
en puissance économique, politique et même militaire.
Le colloque de Bastia n’a pas la prétention d’aborder l’ensemble
des problématiques posées par ses développements.
Il s’intéressera plus particulièrement à l’espace
méditerranéen et aux questions qui nous lient inévitablement
à nos voisins italiens.
Ainsi, autour de magistrats, historiens, journalistes, responsables associatifs,
éducateurs…italiens et français (voir liste des intervenants),
le colloque de Bastia propose de traiter les thèmes suivants :
- Mafias et mondialisation
- Construction de l’Europe, services publics et mafias
- trafics et filières en tous genres : main d’œuvre , prostitution,
drogues…
- Depuis le 11 septembre, quelle place pour la lutte contre les mafias et
le crime organisé ?
- légalité, citoyenneté, justice sociale : des armes
contre les défis mafieux
Les travaux, ouverts au public, se déroulent en 3 séances plénières,
sous formes d’exposés, table-ronde et débats. (samedi
de 10h30 à 13h00 et de 14h30 à 18h30 et dimanche de 10h00 à
13h00)
Ils seront ponctués le samedi 2 octobre en soirée de la
projection d’un film suivie d’un débat :
« I Cento passi » (Les Cent Pas)de Marco Tullio
Giordana (2000) Primé aux Festivals de Venise, de Sao Paulo et Bruxelles
et prix du public à Bastia
Débat en présence de Giovanni Impastato, frère de Peppino,
héros du film, et vice président du centre d’information
et de documentation sur la mafia
Les cent pas c’est la distance qui sépare à Cinisi, en
Sicile, la maison de Peppino Impastato de celle du boss mafieux Badalamenti.
En grandissant Peppino se rebelle et se sert de la radio locale où
il travaille bénévolement pour combattre « La Pieuvre
» à ses risques et périls… Nous sommes dans les
années 60.
Un film magnifique tiré de l’histoire vraie de P. Impastato dont
le centre de documentation sur la mafia, à Palerme, porte aujourd’hui
le nom.
Discours d'ouverture
Paul EUZIERE,
Depuis que nous avons accueilli, il y a trois jours, la caravane anti-mafias,
de nombreuses questions nous ont été posées, à
nous co-organisateurs français comme à nos amis italiens. Elles
sont révélatrices des questionnements multiples et riches que
soulève cette initiative.
La question des questions, c’est pourquoi cette manifestation non pas
sur la mafia, mais sur les mafias, ici ?
Ici, en Corse où nous sommes aujourd’hui ; mais aussi «
pourquoi ici ? » dans le Var où nous étions hier comme
avant hier aussi ce « pourquoi ici ? » dans les Alpes-Maritimes.
En clair, partout, on se demande les raisons d’une initiative dont à
première vue on ne voit pas toujours bien le lien avec notre univers
quotidien. Tout se passe finalement, un peu à la manière de
cette anecdote que nous racontait récemment le professeur Enzo Ciconte,
éminent spécialiste de la ‘Ndrangheta – la mafia
calabraise – quand il était enfant et qu’il entendait parler
les gens d’une localité sur la mafia ; la mafia, c’était
toujours le village voisin : les autres, quelque chose d’extérieur,
d’étranger, alors que, bien évidemment la mafia était,
partout, présente.
A bien regarder, je crois que l’on peut, vérifier partout la
pertinence de cette observation, non seulement en Italie où contrairement
à ce qu’une certaine imagerie, pour ne pas dire folklorisation,
du crime organisé peut laisser croire, la mafia et les mafias sont
loin d’être un phénomène méridional, (le
nord - le Nord « la Padanie » … - étant intrinsèquement
sain )– mais vérifier aussi la pertinence de cette observation
en France aussi, où les activités du crime organisé ne
concernent pas seulement le Sud-Est et la Corse, autres régions largement
folklorisées, mais l’ensemble du territoire national, comme le
démontrait dès le début des années 90 une commission
parlementaire qui a étrangement plongé, depuis, dans un sommeil
sans rivage…
Non la réalité est aujourd’hui toute autre.
Depuis « l’Uruguay Round » et la création en 1995
de l’OMC, a été mis en route un processus de « mondialisation
» dominé par les marchés financiers qui opèrent
désormais les régulations économiques et sociales en
fonction de la seule exigence de rentabilité des capitaux. Dans ce
cadre, on a uniformisé les règles afin que les capitaux puissent
circuler librement sur toute la planète et s’investir là
où ils sont susceptibles de trouver une rentabilité maximale.
Or, l’exigence des marchés d’abolir les réglementations
et de supprimer les contrôles étatiques renforce simultanément
la criminalité organisée dont on constate une hausse vertigineuse
depuis une vingtaine d’année au point que toute l’économie
mondiale est contaminée. On estime à 15% du commerce mondial
le produit criminel brut (PCB).
Participent à ce mouvement, non seulement les quatre mafias «
historiques » d’Italie : la Mafia sicilienne, la Camorra napolitaine,
‘Ndrangheta calabraise et la Sacra Corona Unita des Pouilles, mais la
mafia italo-américaine « Cosa Nostra », les mafias turque,
albanaise, kossovare, russe, les Yakusas japonais, Triades chinoises et les
« cartels » sud-américains. Elles se partagent les marchés
et les activités au niveau mondial.
Non seulement ces mafias défient et quelquefois mettent en échec
les Etats qu’elles investissent et servent -et dont elles se servent-
mais elles jouent un rôle clef au plan des économies y compris
de pays aussi développés que le Japon (Guilhem Fabre ici présent
qui est auteur d’un remarquable ouvrage sur ce sujet abordera sans doute
cette facette trop méconnue de l’économie du crime organisé).
On le voit, nous entendons aborder cette réflexion ici en Corse avec
l’apport d’éminents spécialistes français
et étrangers spécialistes par leurs recherches ou par leur engagement
professionnel, associatif ou politique.
Car, c’est l’une des originalités à la fois de notre
association Festival TransMéditerranée et de cette caravane
anti mafias qui regroupe trois grandes fédérations italiennes
d’associations l’ARCI (1 200000 adhérents), « Libera
» (1 200 associations anti mafias) et « Avviso Publico »
réseau antimafieux de collectivités territoriales, nous souhaitons
faire réfléchir et agir chacun, à partir de problématiques
citoyennes et de défis communs.
Ce colloque international ici ne doit donc rien au hasard, ni d’ailleurs
à une conjoncture particulière.
Le Festival TransMéditerranée a organisé en Corse, et
en Provence, depuis douze ans de nombreuses manifestations de tous types sur
ces questions de criminalité organisée.
Dès 1995, à l’invitation de l’UR Corse de la CCAS,
nous avons reçu à Ajaccio pour une remarquable conférence
l’emblématique maire de Palerme, Léoluca Orlando, qui
est revenu quelques mois plus tard -en juillet 1996- à l’occasion
du baptême de la « Rue du Juge Falcone » à Bastia.
Nous sommes donc en continuité dans le temps et dans l’espace
avec notre action, quand nous venons ici avec la caravane anti mafias de nos
amis italiens pour cette initiative.
Nous avons sans doute beaucoup à apprendre du combat citoyen, pied
à pied, de la société civile, mais aussi des professionnels
magistrats notamment, syndicalistes et aussi hommes politiques (tous heureusement,
ne sont pas corrompus) d’Italie et singulièrement de ce Mezzogiorno
tant stigmatisé.
Je voudrais saluer leur courage au quotidien –celui des femmes en premier
lieu dont on oublie trop l’engagement déterminant et déterminé-
bien souvent au cœur des fiefs mafieux. Saluer aussi la créativité
citoyenne qui s’exerce dans la gestion des biens que la société,
grâce à la loi, a permis de récupérer sur le patrimoine
des mafieux. L’exemple de l’Italie, et d’abord de la Sicile,
face au crime organisé n’est pas celui d’une fatalité,
mais d’un courage citoyen lucide et inventif, solidaire et porteur d’avenir.
Face à ceux qui en Sicile prétextant la « Sicilianité
» et les particularismes de la culture et des traditions pour mieux
faire avancer le nivellateur de la mondialisation et la loi du profit, les
forces vives de Sicile et d’Italie répondent par la mobilisation
citoyenne et l’exigence de transparence absolue et de démocratie
réelle. Quelle plus belle réponse universelle aux défis
mafieux que ce cheminement acharné pour la légalité démocratique
et la justice sociale ?
LES INTERVENANTS
Bruno BELOTTI, archéologue,
professeur d’histoire
Christian BLICQ, secrétaire fédéral
CGT chargé de la santé au travail
Anna BUCCA, chargée des questions internationales
à ARCI Sicile, membre fondatrice de la caravane
Micaela CASATI, militante du réseau associatif pour
la caravane anti mafias
Giancarlo CASELLI, Procureur général de Turin,
ancien procureur général de Palerme après la disparition
du juge Borsellino, ancien commissaire européen chargé de la
Justice
Paul EUZIERE, Président du Festival TransMéditerranée,
Membre du Comité de rédaction des revues La Pensée et
Recherches Internationales
Guilhem FABRE, socio économiste, sinologue, membre
de l’Institut Universitaire de France, professeur à la faculté
des affaires internationales de l’Université du Havre, auteur
de ‘Les prospérités du crime : crises financières
et blanchiment’ (l’Aube 1999)
et du rapport de l’ONU « Globalisation, drugs and criminalisation
»
Francesco FORGIONE, journaliste à Liberazione, député
au parlement de Sicile, membre de la commission anti mafia, auteur de «
Amici come Prima » (Storie di mafia et politica nella Seconda Repubblica)
Ed Riuniti 2004 et de « Oltre la Cupola » (1994)
Jole GARUTI, Professeur, présidente de Libera Lombardie
Nicolas GIANNAKOPOULOS, Président de l’Observatoire
du Crime Organisé, Genève
Giovanni IMPASTATO, Vice Président du centre de documentation
sur la mafia, Palerme
Luigi LUSENTI, responsable national de ARCI
Anna Lisa MANDOLONI, militante du réseau associatif
pour la caravane anti mafias
Eduardo MADONINI, militant du réseau associatif pour
la caravane anti mafias
Ange ROVERE, historien, directeur de la revue d’Etudes
Corse, 1er adjoint à la ville de Bastia, coauteur de « La Corse
et la République » (Le Seuil 2004)
Ils ont dit:
Paul EUZIERE, président
du FTM, collaborateur aux revues La Pensée et Recherches Internationales,
auteur d’articles sur les mafias et la mondialisation.
(…) La mafia et les mafias sont loin d’être
un phénomène méridional. Les activités du crime
organisé ne concernent pas seulement le Sud-est et la Corse, mais l’ensemble
du territoire national, comme le démontrait dès le début
des années 90 une commission parlementaire qui a étrangement
plongé, depuis, dans un sommeil sans rivage…(….) Depuis
la création de l’OMC en 1995 (…) l’exigence des marchés
d’abolir les réglementations et de supprimer les contrôles
étatiques renforce simultanément la criminalité organisée
dont on constate une hausse vertigineuse depuis une vingtaine d’années
au point que toute l’économie mondiale est contaminée.
On estime à 15% du commerce mondial le produit criminel brut. (PCB)
Francesco FORGIONE , journaliste
à Liberazione, député au parlement de Sicile, membre
de la commission parlementaire anti mafia, auteur de « Amici come Prima
» (Storie di mafia et politica nella Seconda Repubblica) Ed Riuniti
2004 et de « Oltre la Cupola » (1994)
Ce qui caractérise aujourd’hui les organisations
criminelles c’est leur dimension transnationale, leur multidisciplinarité,
leur capacité à utiliser toutes les opportunités pour
introduire leurs capitaux dans le circuit financier « légal ».
C’est pour cela qu’il est préférable désormais
de parler de « composante criminelle » de l’économie
mondialisée.(…)
En Italie, le crime organisé est la 2è entreprise après
Fiat. Et ce n’est pas seulement un entreprise « économique
». Les mafias établissent des relations politiques étroites
au point qu’elles transforment la nature du pouvoir. Cela est vrai en
Italie, mais aussi au niveau mondial. Il y a une duplicité des Etats
: une face légale, citoyenne, démocratique et une face de grande
organisation mafieuse.
Guilhem FABRE, socio économiste,
sinologue, membre de l’Institut Universitaire de France, professeur
à la faculté des affaires internationales de l’Université
du Havre, auteur de ‘Les prospérités du crime : crises
financières et blanchiment’ (l’Aube 1999) et du rapport
de l’ONU « Globalisation, drugs and criminalisation »
L’histoire de la corruption mondialisée
est inséparable de l’histoire politique. La corruption tend à
devenir l’arme même du crime -et du pouvoir. (…)
La mondialisation des échanges facilite les réseaux multi-services
: drogues, armes, main d’œuvre, proxénétisme, véhicules
volés, objets d’art…
Les investissements de l’économie criminelle privilégient
les investissements spéculatifs à très court terme (immobilier,
tourisme, bourse…). La dynamique du blanchiment, dans les conditions
de la dérégulation, de la privatisation des monopoles publics,
crée les conditions de dévalorisation du cadre légal
et d’une institutionnalisation progressive de la sphère criminelle.
On assiste à une convergence entre les sphères licite, illicite
et criminelle. Les liens sont de plus en plus ténus entre l’économie
criminelle et l’économie légale.
Nicolas GIANNAKOPOULOS, Président
de l’Observatoire du Crime Organisé et de Inside.co, réseau
d’investigation et d’analyses sur le crime organisé
Les organisations criminelles sont souvent nées
du grand banditisme. Mais c’est surtout le changement des modes de productions
qui est l’élément déclenchant (ex : l’ex
URSS qui est passé d’un mode de production centralisé
à un mode de production décentralisé). Elles se développent
d’autant plus facilement dans des situations de conflits (populations
fragilisées, circulation des armes…). Leurs ressources principales
sont le marché et la violence.
Ange ROVERE, historien, directeur
de la revue d’Etudes Corse, 1er adjoint à la ville de Bastia,
coauteur de « La Corse et la République » (Le Seuil 2004)
La Corse est un véritable laboratoire institutionnel
du désordre organisé par l’Etat. C’est l’un
des points d’ancrage sur lequel se développent toutes les dérives.
(…) L’Etat a sacralisé et légitimé certaines
formes de violence de même qu’il a théorisé la «
dérive identitaire ». Cela se traduit par un recul organisé
de l’Etat républicain et crée un contexte structurant
pour toutes les dérives (nationaliste, identitaire, mafieuse).
Anna BUCCA, chargée des questions
internationales à ARCI Sicile, membre fondatrice de la caravane anti
mafias
Il existe une histoire de l’anti mafia qu’il
faut faire connaître. Avec cette caravane nous voulons montrer qu’il
y a la place pour la liberté et la démocratie en Sicile. C’était
aussi, après les assassinats des juges Falcone et Borsellino, un signal
concret qu’il était possible de faire bouger les choses.
Interview
La mafia tue à Palerme, elle blanchit à
Milan, Londres, Paris…
Rencontre avec Giancarlo Caselli, Procureur
général de Turin,
ancien procureur général de Palerme (après l’assassinat
par Cosa Nostra du juge Borsellino) membre de EuroJust (coordination de magistrats
de pays membres de l’Union Européenne).
Il a notamment instruit le procès de l’ancien premier
ministre italien Giulio Andreotti.
L’éminent magistrat italien a fait
le déplacement à Bastia où il a particpé au colloque
« De la mafia aux mafias » organisé par le FTM et la Ville
de Bastia.
Il évoque, pour l'Humanité et le PCA Hebdo, les mafias et leurs
évolutions dans le contexte de la mondialisation libérale.
De quelle manière la mafia utilise-telle les canaux de
la mondialisation ?
Giancarlo Caselli : Il faut parler de mafia au pluriel. Il
y a les mafias italiennes suivant les régions (Camora, N’Dranguetta,
Sacra Corona…), la mafia nigériane, albanaise, chinoise, russe,
japonaise… Réduire le mot mafia à un singulier peut être
dangereux. Ces mafias accumulent une énorme richesse par le biais d’activités
illicites (racket, trafic de drogue, d’armes, d’êtres humains,
d’organes, de déchets toxiques…) et elles doivent blanchir
cet argent. Ce blanchiment se fait au travers de circuits financiers qui sont
ceux du marché mondialisé lequel se caractérise par une
extrême rapidité des échanges. Les mafias s’y intègrent
très facilement. D’où la nécessité de coordonner
l’activité des Etats pour lutter contre l’influence grandissante
des mafias et le recyclage, et surtout, commencer par les paradis fiscaux
qui sont de véritables trous noirs absorbant les profits de cet argent
blanchi.
Comment les mafias se sont-elles réorganisées pour
s’adapter au monde d’aujourd’hui ?
Giancarlo Caselli : Chaque mafia est particulière. Je connais
plus spécialement la mafia sicilienne, Cosa Nostra. Elle existe depuis
150 ans et réussit, en permanence, à se renouveler et à
s’adapter aux conditions nouvelles pour pouvoir survivre. Dans le cas
de Cosa Nostra on a une organisation qui, pour résister aux changements
et aux périodes de crise, est extrêmement forte, très
bien structurée ; elle est à la fois pyramidale mais aussi (éparpillée)
répartie sur le territoire. Elle est bien sûr riche, mais surtout
puissante par les relations qu’elle a pu entretenir et qu’elle
a développées. Elle jouit d’une complicité à
tous les niveaux. Mais cette implantation et ce pouvoir s’expliquent
aussi par le fait qu’il existe des mythes comme celle de l’homme
d’honneur ou cette croyance selon laquelle c’est la mafia qui
donne du travail. Des mythes qui permettent à la mafia de jouir d’une
certaine popularité.
On n’a pas vraiment l’impression que les Etats mènent
un véritable combat contre ces mafias, au contraire on voit des collusions
importantes. En tant que magistrat, est-ce que vous ne vous sentez pas un
peu seul dans ce combat ?
Giancarlo Caselli : Face à la mondialisation du crime, il
faudrait que les Etats puissent coordonner leurs actions. Le crime organisé
- dans toutes ses dimensions - s’insère facilement dans le 21è
siècle, il sait utiliser les atouts de la modernité et ne connaît
pas de frontières. Ce qui n’est pas le cas des appareils d’Etat
qui continuent à fonctionner de manière archaïque. Il existe,
cependant, des outils pour lutter de façon transnationale contre la
criminalité. Il y a eu une conférence de l’Onu à
Palerme en 2001. Elle a adopté une convention contre le crime international
qui stipule que les pays doivent lutter ensemble contre le crime organisé.
Il existe également Eurojust (coordination de magistrats) et Europol
(coordination des polices) qui pourraient lutter plus efficacement s’ils
avaient plus de moyens financiers et humains. La magistrature n’est
pas dotée de grands moyens ce qui, de fait, renforce le pouvoir de
la mafia car les gens ont moins confiance en la justice et restent soumis
à l’omerta, la loi du silence.
Est-ce que les citoyens peuvent réellement faire quelque
chose contre les mafias ?
Giancarlo Caselli : en effet, si l’Italie, dit-on, est le pays
des mafias, c’est aussi celui des anti mafias. L’Italie a su trouver
des formes de réponses aux niveaux législatif, judiciaire et
de la société civile. C’est le cas par exemple de la confiscation
des biens des boss mafieux affectés à des actions d’intérêt
collectif (coopératives, centres éducatifs, sociaux et culturels…).
Cela dit, chaque citoyen peut intervenir à son niveau. La lutte contre
la mafia n’est pas seulement l’apanage de la police et de la magistrature.
Il faut une prise de conscience du rôle négatif de la mafia et
de son caractère global. En réfléchissant, les gens s’aperçoivent
vite que la mafia ce n’est pas seulement une question criminelle, mais
c’est aussi une question économique, sociale et politique. C’est
l’appauvrissement d’une région (le Sud) parce que la mafia
empêche le développement de l’économie. Une étude
démontre que du fait de l’activité mafieuse il y a un
manque à gagner annuel de 180 000 emplois en Sicile. La perte financière
est estimée à 7,5 milliards d’euros /an. Sans la mafia,
le PIB du sud de l’Italie serait égal à celui des provinces
du centre-nord de l’Italie. Il faut convaincre les gens que sans la
mafia ils vivraient mieux.
La caravane anti-mafia a donc un sens aux yeux du magistrat que vous êtes
?
Giancarlo Caselli : Les produits présentés par cette
caravane, qui proviennent des coopératives issues des terres confisquées
aux mafieux (semoule, pâtes, vin…) sont l’expression même
que la légalité permet de restituer aux gens ce que la mafia
leur a dérobé. Grâce à ces coopératives,
c’est un peu de travail pour des jeunes qui n’en avaient pas jusque
là.
Entretien réalisé par Pierre Barbancey
(traduction de Bruno Belotti)
Roger-Louis BIANCHINI, journaliste, spécialiste de la mafia
et de la criminalité organisée, auteur de plusieurs ouvrages
dont « Mafia, Argent et Politique » (Le Seuil 1995)
Christian BLICK, syndicaliste Fédération CGT
de la Construction
Dominique BUCCHINI, élu à l’assemblée
territoriale de Corse, ancien maire de Sartène, auteur de « De
la Corse en général et de quelques vérités en
particulier » (Plon 1997)
William CARUCHET, avocat au barreau de Nice
Antoine CASANOVA, historien, Directeur de la revue La Pensée
Paul EUZIERE, Président du Festival TransMéditerranée,
membre des Comités de rédaction de Recherches Internationales
et La Pensée.
Guilhem FABRE, socioéconomiste, sinologue, membre
de l’Institut Universitaire de France, auteur de ‘Les prospérités
du crime : crises financières et blanchiment’ Ed. de l’Aube
1999
Serge GARDE, journaliste d’investigation, spécialiste
du crime organisé, auteur notamment de « Les beaux jours du crime.
» Plon 1992 ; « Le Livre de la Honte » (Le Cherche-Midi
2001)
Nicolas GIANNAKOPOULOS, Président de l’Observatoire
du Crime Organisé, Genève.
Nacer LALAM, économiste, chargé de recherches
à l’Institut National des Hautes Etudes de Sécurité,
spécialiste des drogues, auteur notamment de « Drogue et Techno
» (Stock 2000)
Jean de MAILLARD, magistrat, spécialiste des questions
de corruption et de blanchiment, auteur de plusieurs ouvrages dont «
Crimes et Lois » (Flammarion 1994) « L’avenir du crime »
Flammarion 1997 ; « Un monde sans loi » (Stock 1998)…
Ange ROVERE, historien, chargé de la revue d’Etudes
Corse, 1er adjoint à la ville de Bastia, coauteur de « La Corse
et la République » (Le Seuil 2004)
Jacques VALLET, syndicaliste Fédération CGT
de la Construction
Anna BUCCA, chargée
des questions internationales à ARCI Sicile, membre fondatrice de la
caravane, interprète
Giancarlo CASELLI, Procureur général de Turin,
ancien procureur général de Palerme après la disparition
de Borsellino, ex commissaire européen chargé de la Justice
Enzo CICONTE, historien, auteur d’ouvrages sur l’histoire
des mafias, notamment sur la N’Dranguetta, membre de la commission parlementaire
anti mafia
Don Luigi CIOTTI, président des groupes Abele et Libera
Francesco FORGIONE, journaliste à Liberazione, député
au parlement de Sicile, membre de la commission anti mafia, auteurs de plusieurs
ouvrages d’investigation sur les mafias
Alfio FOTI, président de ARCI Sicile, membre fondateur
de la caravane, coordonnateur national de la caravane
Jole GARUTI, présidente de Libera Lombardie
Giovanni IMPASTATO, vice président du centre de documentation
sur la mafia, Palerme
Luigi LUSENTI, responsable national de ARCI
Paolo ODELLO, journaliste
Nicola TRANFAGLIA, historien université de Turin,
directeur de la Revue d’Etudes Historiques
Lorenzo TRUCCO, avocat à Turin, président de
l’association Etudes Juridiques sur les Migrations
Et avec la contribution de Mahi BINEBINE, écrivain
et peintre marocain