NOVEMBRE 2003
XVI° Saison du FTM
" Algérie. Le Signe et l'Olivier "
Décrétée officiellement
« Année de l Algérie en France », 2003 a été
pour beaucoup de Français, mais aussi d Algériens des
2è et 3è générations vivant en France, l occasion
de découvrir -ou redécouvrir- les multiples visages d un
pays à la fois lointain et si proche par l Histoire, les intérêts
géo-économiques et les liens humains.
En ouverture de sa XVIè saison, le 20 novembre 2003 à Grasse,
le Festival TransMéditerranée a voulu contribuer à cette
connaissance de l Algérie et de sa culture en rendant hommage
à trois des « Pères fondateurs » de la peinture
et de la littérature algérienne, le peintre Mohammed
KHADDA, l écrivain Mohammed DIB
et le poète et musicologue Bachir
HADJ ALI.
Trois créateurs inclassables et rebelles dont on on a pu mesurer toute
la richesse en présence notamment de Lucette HADJ ALI, Naget
KHADDA et de l une des figures de premier plan du Théâtre
algérien, le comédien Sid
Ahmed AGOUMI.
Au programme de la soirée inaugurale :
- Une exposition inédite sur le thème «
Le Signe et l Olivier » de Mohammed Khadda.
70 Suvres à découvrir, huiles, aquarelles et gravures, aussi
belles les unes que les autres, aux couleurs des paysages natals de l artiste.
- Lecture d extraits d Suvres de Bachir
Hadj Ali, poète, musicologue, ancien S.G du Parti Communiste Algérien,
par Sid Ahmed Agoumi, comédien, en présence
de Lucette Hadj Ali, ancienne journaliste, fondatrice du
Rassemblement Algérien des Femmes Démocrates, Prix de la Résistance
des femmes contre l intégrisme et l oubli
- Dédicace des livres :
Lettres à Lucette de Bachir Hadj Ali Ed. RSM
Alger 2003
Algérie. Etat des Lieux numéro spécial
de Recherches Internationales 2003
Mohammed Dib, cette intempestive voie recluse de Naget
Khadda Ed. Edisud 2003
Les « Lettres à Lucette »,
de Bachar Hadj Ali
Bachar Hadj Ali a marqué la vie culturelle et politique de l'Algérie.En
1965, après le coup d'Etat qui renversa Ben Bella, il est arrêté,
emprisonné et torturé. Durant toute sa captivité, il
échangera des lettres avec son épouse, Lucette, ancienne journaliste
et Prix de la Résistance des femmes contre l'intégrisme et l'oubli.
Douze ans après la mort de son mari, elle a décidé de
publier cette correspondance.
« Je crois qu'en lisant ce livre, les jeunes
qui n'ont pas connu cette période comprendront un peu mieux ce qu'a
été l'histoire de l'Algérie à un moment donné.
C'est une époque méconnue. Ensuite, Naget Khadda rappelle un
élément très important dans la préface qu'il a
écrite. Mon mari et moi avons vécu dans la clandestinité
durant toute la guerre d'indépendance. Ceux qui liront ce livre découvriront
ainsi qu'il n'y avait pas seulement des Algériens dans la lutte, il
y avait aussi des Français. C'est un fait important parce qu'il est
presque ignoré ».
" Porteurs d'orages, Forceurs
d'espoir "
Présentation de Paul EUZIERE
« L Année
de l Algérie en France - Djazaïr 2003 » a placé
ce pays avec lequel la France partage une histoire et tant de passions aussi
douloureuses que fécondes, au cSur d une multiplicité
de manifestations -officielles ou officieuses- petites et grandes.
Le Festival Transméditerranée qui Suvre depuis ses origines
à la connaissance entre Français et Algériens des deux
rives, au développement des partenariats et, quand les circonstances
l exigent, également à la solidarité concrète,
a donc choisi de s inscrire dans cette dynamique de l Année
de l Algérie en France sans en rechercher obligatoirement le
label (...) et en prenant également en compte le fait que s agissant
d une décision d Etats, elle impliquait aussi des balisages
et des contraintes d ordre diplomatique et protocolaire -autant de considérations
légitimes- qui ne devaient en aucune façon peser sur les choix
que nous aurions à faire.
Car ce que nous souhaitions surtout, c était donner à
découvrir une autre Algérie, celle, qui est trop rarement à
l honneur ici en France et malheureusement aussi là bas ; celle
d un peuple chaleureux et accueillant maniant comme on l imagine
peu l humour et l autodérision, même, et surtout,
dans les contextes les plus dramatiques. Celle aussi de créatrices
et de créateurs méconnus ou oubliés, alors que par leur
talent, ils ont inscrit l Algérie dans l universel.
« Faire partager le souffle chaleureux et tourmenté des pionniers
»...
Sans doute alors fallait-il commencer par ces « pionniers », ces
fondateurs rarement honorés officiellement de leur vivant, parce que
leur message, rebelle et non négociable, portait, avec l énergie
du volcan, la rage et l espoir.
Il fallait donc choisir parmi eux, ceux qui pourraient le mieux, non pas résumer
(aucun ne l aurait prétendu), mais symboliser l élan
des « Années de braise », illustrer ce moment où
le magma bouillonnant de l histoire fait passer la création d une
approche algérianiste et dépendante à une vision algérienne
et universelle.
Nous voulions donner à voir, mais surtout faire partager un souffle
chaleureux, tourmenté parfois jusqu au déchirement, mais
toujours fraternel, des Kateb Yacine, M Hamed Issiakhem, Bachir Hadj
Ali, Mohammed Dib, Mohammed Khadda.
Leur message de libération de toutes les servitudes nous parle avec
toujours autant de force de demain. Il faut donc les découvrir, ou
les (re)découvrir pour ceux qui ont eu le bonheur de les rencontrer
de leur vivant ou de croiser leur Suvre foisonnante.
C est donc à partir de Mohammed Khadda et de ses toiles que nous
vous invitons au voyage, en compagnie de Mme Naget Khadda, son épouse,
professeur de littérature comparée aux universités d Alger
et de Montpellier.
Bachir HADJ-ALI ...
Chemin faisant, nous évoquerons Bachir Hadj Ali dont les
superbes Lettres à Lucette, lettres de prison, viennent d être
éditées à Alger, d ailleurs dans le cadre de l Année
de l Algérie en France, il faut le noter.
Poète, musicologue, Bachir Hadj Ali fut aussi le dernier secrétaire
général du Parti Communiste Algérien. A ce titre, il
paya durement sa participation à la lutte d indépendance.
Mais aussi, il fut ensuite persécuté à partir de 1965
par les autorités de son pays qui l emprisonnèrent pendant
de longues années, loin de sa famille, après qu il ait
été torturé onze fois.
Si je rappelle ces faits c est pour mieux faire apprécier les
extraits de lettres et les poèmes tirés des « Chants pour
les nuits de septembre » qui ont accompagné la réédition
en 1989, à Alger où il était jusque là interdit,
de son livre « L Arbitraire », terrible témoignage
sur la souffrance d un homme face à ses bourreaux en même
temps que magnifique chant d espoir et de dignité.
Mohammed Khadda avait préfacé cette réédition
qui était illustrée en couverture de son tableau « Le
Supplicié » réalisé en 1968, alors que commençaient
à sourdre les révélations des tortures.Grande figure
du Théâtre et du Cinéma Algérien, venu à
Grasse à l occasion de la représentation de la pièce
tirée de Kateb Yacine « Nedjma » donnée au Théâtre
de Grasse, Sid Ahmed Agoumi, qui nous fait le plaisir et l honneur d être
parmi nous, nous fera apprécier toute la beauté de ces textes,
en présence de Lucette Hadj Ali.
Lucette, je veux la saluer chaleureusement au nom de tous parce que - je sais
que son immense modestie va en souffrir- c est une grande dame qui est
parmi nous ce soir. Une page d histoire vivante. Une femme exemplaire
qui n a jamais renoncé, quelles qu aient été
les menaces et les persécutions qu elle a eu à endurer
de la part des autorités coloniales puis de celles de l Algérie
indépendante, et des islamistes ensuite.
Lucette Hadj Ali est fondatrice avec Zazi Sadou -également présente
parmi nous- du Rassemblement Algérien des Femmes Démocrates
(RAFD) ce qui veut dire en arabe « refus ». Le RAFD mène
depuis dix ans un combat incessant et sans concession, aux risques les plus
élevés, sur le terrain, pour l émancipation des
Algériennes, pour l égalité citoyenne, pour les
enfants victimes du terrorisme et contre l obscurantisme.
C est grâce à leur action convergente et déterminée,
au rôle de catalyseur qu elles ont joué avec les femmes
dans la société civile que l Algérie n a
pas basculé dans un Moyen Age qui aurait eu des conséquences
incalculables pour le monde méditerranéen et la société
française.
Mohammed DIB...
A la Bibliothèque Municipale,
nous aborderons une autre grande figure, un des ces fondateurs, avec le vernissage
de l exposition sur le romancier Mohammed Dib, dont l Suvre
commencée à la fin des années 40 et qui va jusqu à
nos jours est sans doute la plus importante de la production algérienne
en langue française.
Naget Khadda qui en est la grande spécialiste et vient de publier un
ouvrage clef pour sa compréhension « Mohammed Dib, cette intempestive
voie recluse » (Edisud) donnera à cette occasion une conférence
dont il faut souligner tout l intérêt pour la connaissance
d une Suvre majeure de la littérature universelle.
A tout bien considérer, si l on devait trouver un titre à
cette série de manifestations qui inaugurent la XVIè saison
du Festival Transméditerranée (et qui nourrissent cette semaine
culturelle algérienne à Grasse) avec Mohammed Khadda, Mohammed
Dib, Bachir Hadj Ali et avec eux l ombre brûlante de ces magnifiques
créateurs que furent leurs amis et frères siamois Kateb Yacine
et M hamed Issiakhem ce pourrait être « l Olivier
et l exil ».
Mohammed KHADDA ...
L Olivier dont nous avons choisi l une des multiples
interprétations picturales de Khadda pour l affiche et l invitation,
l olivier, arbre par excellence de la Méditerranée et
de notre région, symbole de paix.
Mohammed Khadda disait en 1971 « j ai vu beaucoup d oliviers
et j en parle souvent. J aime cet arbre et m en méfie
pourtant. Parce que dans ses torsions, dans ses craquelures, dans son entêtement
à faire front à l agression des vents, à l injure
des poussières, je retrouve cette démarche de l homme,
j entends l homme debout. Même si ses protestations quelque
peu romantiques me gênent, son angoisse m émeut, m en
rapproche. Il y a sans doute, dans sa gesticulation une démesure par
trop théâtrale, mais ses refus à s enraciner dans
les terres trop grasses, ses choix à préférer les sols
arides -les roches même- pour s y agripper, tout cet ascétisme
a goût de dignité. L olivier est pour moi genèse.
Il est à la naissance des signes et de l écriture que
je propose » (Mohammed Khadda Sur l olivier Préface
à une exposition).
De fait, la référence à l olivier et au delà
à ces qualités premières qu il doit partager avec
« l Homme debout » -la ténacité, l obstination
et la résistance- rythme toute son Suvre : Oliviers dans le vent,
Oliviers-nerfs, Le Lierre et l Olivier, Olivier blanc, Olivier foudroyé,
Anatomie d un olivier, Les Oliviers-la Méditerranée, Olivier
calciné, ou tout simplement Sur l Olivier &
Exilés, mais pas désespérés
L exil est extérieur ou intérieur, physique
ou moral.
C est le fil rouge qui réunit l ensemble des créateurs
: écrivains, plasticiens et musiciens.
Exilés hors d Algérie : Dib, Khadda, Kateb Yacine, Daniel
Timsit, Rachid Mimouni. Exilés de l intérieur, volontaires
ou forcés : Issiakhem, Bachir Hadj Ali, Jean Senac. Ecartelés
entre les deux : Assia Djebar, Rachid Boudjedra, Ahlam Mostaghenemi, Wacini
Laredj, Zineb Laouedj et tant d autres.
Le même constat s applique au cinéma et au théâtre.
Comme une malédiction déchirante et cependant fructueuse.
Il y a une semaine, nous avons présenté à Ajaccio la
première de la pièce, sensible et forte, « Femmes en quête
de terre », dont l auteur et interprète est la comédienne
Nadia Kaci et le metteur en scène talentueux, Nicolas Deletoille.
Là encore, le thème en est l exil et la découverte
de l autre, et par un inévitable jeu de miroirs, la découverte
de soi même et de cette solitude qui fonde la vie de chaque être
humain et en est le corollaire.
D hier à aujourd hui, de Mohammed Dib à Nadia Kaci,
l exil sous toutes ses formes est donc une constante dans la création
algérienne.
Mais, exil et solitude ne conduisent pas forcément à la désespérance
selon que ces grands défis existentiels sont relevés seul ou
avec les autres.
Pour Khadda, pour Bachir Hadj Ali, et avec eux toute cette génération
si puissante dans sa fragilité, l exil et la souffrance de l isolement
ne sont ni un statut de nostalgie doucereuse, ni une perspective, mais une
épreuve qui renforce et élargit encore leur amour des autres.
Le 4 mai 1991, la maladie emporte Mohammed Khadda. Moins d une semaine
plus tard, son ami Bachir Hadj Ali s éteint à son tour.
L un et l autre sont enterrés au cimetière d El
Alia à Alger.
Ces « Frères pour l éternité », comme
les a baptisés Tahar Djaout (Algérie-Actualités du 16
mai 1991) morts à quelques jours d intervalle « ont accompli
un long chemin ensemble. Chemin d artistes, chemin d hommes, chemin
de patriotes, chemin de citoyens attachés à leur pays et à
la totalité du monde.
Refusant de s enfermer dans leur art, de barricader leur porte et de
calfeutrer leurs fenêtres dans les cohues, les drames et les espoirs
de la rue, ils ont décidé d être aux côtés
de tous les hommes.
Chez Bachir Hadj Ali et Mohammed Khadda, il n y a pas eu de conflit
ou de divorce entre l artiste et le militant, entre l homme ouvert
à tous les rêves et l homme qui tente de les concrétiser
par l action »
Bien des années auparavant, la tendre et magnifique poétesse
Anna Greki, faite de la même lave fraternelle, terminait ainsi son poème
« Pour un monde humain » :
" Nous enseignons l espoir
Corrosif nos munitions notre pain blanc
Tout autour de nos corps s étanchent les déserts
Arides
Et quand montera le matin vert
Pâturage délirant de reconnaissance
Leurs bouches apaisées à notre bonne foi
Parleront de torrents plus violents que leur voix
Avec des mots brûleurs de ciel
Avec des mots traceurs de routes
Qui fait du bonheur une question de patience
Qui fait du bonheur une question de confiance
Nous te ferons un monde humain "