KURDES

FEVRIER - MARS 1997

 

L'AUTRE TRAGEDIE DU PROCHE-ORIENT

 

    



   Partagés principalement entre quatre pays ; le Turquie, l'Iran, l'Irak et la Syrie, parlant une langue persane comprenant trois grands groupes de dialectes – dont les premiers textes écrits remontent au VIIè siècle – les kurdes dont on connaît mal les origines sont apparus entre le X et XIè siècle.
Tout au long du XIXè siècle – de 1806 à 1880 – ils n'ont cessé de se soulever pour s'opposer à la politique de centralisation de l'Empire Ottoman qui réduisait leur autonomie.

Éparpillés depuis la fin de la Ière guerre mondiale et le démantèlement de l'Empire Ottoman, ils sont dans les faits, les « oubliés » des Traités de San Rémo et de Sèvres qui pourtant préconisait la création d'un Etat kurde et d'un Etat arméniens.
La signature le 24 juillet 1923 du Traité de Lausanne entre la Turquie et les Alliés rend caduc le Traité de Sèvres en reconnaissant la souveraineté de la Turquie sur la plus grande partie des teres kurdes. (Aujourd'hui 45% de la population Kurde vit en Turquie, 30% en Iran et 20% en Irak).

Le 3 mars 1924, le gouvernement turc interdit écoles, publications et associations kurdes...

Au début des années 1970, puis 1980, la répression des revendications kurdes s'est accentuée : avec une véritable grève qui en 1997 a vu la mobilisation dans le Sud-Est Anatolien de 200 000 à 300 000 hommes, -soit près de la moitié de l'armée turque-, 3000 villages ont été détruits, 30 000 morts, des zones entières vidées de leur population au prétexte de lutte anti-guerilla, les élus – maires et député emprisonnés par de longues années pour s'être simplement exprimés en langue kurde.

Ainsi Mehdi Zana, dirigeant du Parti Ouvrier de Turquie et figure de proue du mouvement démocratique, maire de la principale ville kurde de Turquie : Diyarbakir, élu en 1977 sera destitué, à la suite du coup d'Etat militaire de 1980, arrêté, toturé et condamné à trente six années de prison. Libéré en mai 1991, il sera à nouveau condamné à quatre ans d'emprisonnement en mai 1994 pour avoir témoigné devant le Parlement Européen; et privé de ses droits politiques.

Ainsi Leyla Zana, première femme kurde élue au Parlement turc en 1991, a été condamnée en 1994 à 15 ans de prison – avec trois autres députés du D.E.P (Parti de la Démocratie dissous, par les autorités, en 1994) pour s'être exprimée en kurde dans l'enceinte du Parlement turc.
« Mon crime est d'avoir prononcé une phrase en kurde pour prôner l'amitié et la coexistence des Kurdes et des des Turcs pendant mon serment de loyauté au Parlement » expliquera Leyla Zana.
Arrêtée, torturée, lauréate du Prix Sakharov en 1995, elle passera dix années dans les geôles turques avant d'être enfin libérée le 9 juin 2004 à la suite d'une grande campagne internationale.

 


A Grasse (Alpes-Maritimes), le 28 février 1997
et à Bastia (Haute Corse) le 1er mars,

 

       

le Festival TransMéditerranée donnait la parole à
Danielle Mitterrand
Présidente de la Fondation « France Libertés »
et à Kendal Nezan, Président de l'Institut Kurde de Paris.


Paul Euzière : " Leyla Zana, symbole de courage "

 


  " Il y a -à nos côtés- une chaise vide. C'est celle que devrait y occuper une autre personnalité exemplaire, un femme -et quelle femme !- Leyla Zana.
Leyla Zana qui est un symbole de courage civique, et de courage tout court.

Militante pour la reconnaissance de l'identité kurde, pour l'entente entre les peuples turc et kurde et pour la démocratisation de la Turquie, Leyla a été la première femme kurde députée au parlement d'Ankara en 1991.
Issue d'une famille de paysans pauvres d'un petit village kurde celle que l'on a baptisée "la Pasionaria des Kurdes" est aujourd'hui âgée de 36 ans et mère de deux enfants.

Leyla Zana est l'épouse de l'ancien maire de la grande ville kurde de Diyarbakir, a été torturé, puis emprisonné pendant 11 ans, puis encore pendant deux ans pour avoir fait un discours au Parlement Européen et distribué le texte aux journalistes.
Qu'y avait-il dans ce texte ? Rien de choquant. Tout simplement ce qui est stipulé dans toutes les conventions sur les droits de l'Homme et dans la Charte de l'ONU : ces droits si élémentaires qui sont le droit de parler sa langue, le droit de chanter ses chants, le droit de suivre ses coutumes.

Aujourd'hui, si la petite paysanne devenue député n'est pas parmi nous, c'est qu'elle aussi a été jetée, pour 15 ans -jusqu'en 2009- en prison au terme d'un procès politique où l'on a réclamé pour les députés inculpés la peine de mort et où le procureur n'a pas hésité à déclarer qu'il avait "plus de respect pour son chien que pour les kurdes accusés".

Quel crime avait commis ces députés ? Tout simplement mener une action permanente d'information sur la véritable guerre -des millions de villages rasés et des millions de réfugiés- infligée à coup de canons et de baïonnettes.
Quelle solution proposent-ils ? Un état fédéral et démocratique pour les deux peuples de Turquie. Voilà le crime de Leyla Zana et de ses amis députés kurdes !.

De sa prison, elle adresse une lettre à Sylvie Jean, Présidente de la Fédération Démocratique Internationale des Femmes, et écrit notamment : "dans notre siècle, pour la liberté et pour la paix, ont est obligé de payer un prix. C'est inévitable et je l'assume."
A travers le cas de cette femme si courageuse, que nous ferons tout pour recevoir un jour ici, c'est le courage de tout le peuple kurde que nous voulons saluer."


Danielle Mitterrand : "Donner la parole à ce peuple bâillonné"...


  " Il faut rappeler qu'à l'origine du « malheur Kurde » il y a la ruée sur le pétrole, au début du siècle, qui s'étend sous les pieds de cette population; puis, après la Première Guerre mondiale, un traité s'en mêle et établit des frontières qui garantissent un partage du territoire kurde intéressant pour les alliés vainqueurs.

Ce système de l'argent s'organise comme une machine sans état d'âme, n'hésitant pas à soutenir les dictatures locales opprimant les populations.

Aujourd'hui, rien n'a changé et cela ne s'arrange pas. Il ne faut donc jamais se lasser d'en parler car la politique internationale ne prend pas en compte ce peuple particulièrement opprimé quel que soit le pays où il se trouve.

Pourchassé, opprimé, privé de ses droits les plus élémentaires, cela particulièrement en Turquie où se sont toujours les militaires qui dirigent en se camouflant derrière la démocratie; il faut continuer à sensibiliser, à mobiliser, à informer, à dénoncer pour que l'opinion publique internationale se manifeste davantage encore; donner la parole à ce peuple bâillonné alors qu'il défend ses droits essentiels : sa culture, son expression, son existence.
L'alternative est en marche, ce serait un monde où les dons de la nature et de la terre seraient non plus confisqués par quelques-uns mais répartis équitablement, où l'argent serait au service de l'humanité, et non l'humanité son esclave ".

{extraits de l'interview de Danielle Mitterrand par Latifa Madani pour « Regards » - n° 23 – Avril 1997}


 

JUIN 2003

 FESTIVAL de DOGUBEYAZIT
(Turquie)



Dogubeyazit est une ville kurde de Turquie située au pied du mont Ararat, non loin des frontières de l’Iran et de l’Arménie.

Avec 90 000 habitants, un taux de chômage très important et une situation économique et sociale très difficile, elle dispose d’un patrimoine historique d’une grande richesse : son château du 4è siècle, ainsi que la Mosquée Safi. Le philosophe Ahmed Hani, père de l’écriture et de la grammaire kurde y repose dans son mausolée ; le Palais de Ishak Pacha, le deuxième après celui du Topkapi, modèle d’architecture seljoukide, est remarquablement conservé malgré la rudesse du climat et le peu de moyens pour l’entretien…

Afin de faire connaître et préserver cette richesse, la maire de la ville, Mme Mukkades Kubilay (élue pour la première fois en 1999 et réélue en 2004), a eu, parmi ses premières initiatives - outre l’émancipation des femmes et l’éducation- dans le cadre de son programme de développement culturel, la création de ce Festival qui, avec des moyens limités, est devenu une des principales manifestations culturelles des Kurdes de Turquie.

Du 20 au 23 juin 2003, le IIè Festival de Dogubeyazit a rassemblé des milliers de participants qui ont pu apprécier des concerts, des conférences,une exposition photographique, du théâtre avec notamment une pièce d’Aristophane traduite en kurde, et, grâce au partenariat entre le Festival TransMéditerranée et l’association « Solidarité et Liberté » et au soutien du Conseil général des Bouches du Rhône, pour la première fois, une représentation - en français - de la pièce « Duo pour un tapage nocturne » de la Compagnie « Ainsi de Suite ».