Novembre 2001
XIV° Saison du Festival TransMéditerranée
REGARDS DES DEUX RIVES
Parce que le dialogue entre les cultures a plus que jamais besoin d’être
nourri, le FTM a choisi d’ouvrir sa XIV ° saison sur les œuvres
et témoignages de créateurs et acteurs, « passeurs des
deux rives » de la Méditerranée : les peintres Mahi
Binebine, Miguel Galanda, l’écrivain
Jean-Pierre Millecam, l’éditeur
et galeriste Alain Gorius et comme ‘’grand
témoin’’ : Aziz Binebine,
ancien officier, survivant du bagne mouroir de Tazmamart.
Paul Euzière :
"Le dialogue par la culture
et la création"
(extraits du discours d'inauguration) (...)
les créateurs -aussi bien les cinéastes
et les poètes que les romanciers- jouent un rôle clé dans
l’affirmation des patrimoines culturels vivants comme dans la reconnaissance
de cet Autre sans lequel tout discours de paix est vain.
Cette démarche de dialogue par la culture et la création ne
va pas de soi dans le contexte actuel de guerre en Afghanistan où l’émotionnel
et l’irrationnel entretenus pas des grands médias à la
recherche de scoops nourrissent les fractures si nombreuses en Méditerranée,
plutôt qu’ils ne contribuent à les réduire.
Pourtant l’avenir n’est ni dans ce « choc des civilisations
» que prédit l’Américain Huntington, ni dans une
vision d’affrontements Nord-Sud, mais, au contraire, dans la volonté
commune de relever ensemble des défis qui sont ceux de toute l’Humanité.
Face aux écarts et aux déséquilibres croissants deux
attitudes existent :
-l’une est de se replier sur soi. C’est une impasse, même
à court terme.
-l’autre, difficile mais féconde, consiste au contraire à
agir et à construire ensemble sans nier les différences mais
en mesurant bien que soit nous gagnerons ensemble, soit nous perdrons tous,
au Nord comme au Sud.
Nous avons donc choisi pour ce XIV° FTM de faire connaître un autre
visage des rapports Nord-Sud au travers de la création, de la peinture
et de la littérature, avec une exposition tout à fait originale
puisqu’il s’agit d’œuvres à quatre mains réalisées
par deux artistes de dimension internationale, l’un né au Sud
de la Méditerranée, à Marrakech -Mahi Binebine- qui est
également un écrivain dont le talent vient d’être
encore une fois salué puisqu’il vient de se voir attribuer le
prix de l’amitié franco-arabe ; l’autre né au Nord,
en Aragon, en Espagne donc, Miguel Galanda, qui est aussi sculpteur. (...)
" Arbre de l'espoir, tiens bon ! "
Parce que directement ou non, la création puise toujours sa force dans
une réalité même douloureuse, avec nous aussi, un grand
témoin des années de plomb qu’a connut le Maroc, Aziz
Binebine, officier de l’armée marocaine, qui a survécu
18 ans dans le sinistre bagne marocain de Tazmamart. (...)
Cette souffrance sans limites qu’ont endurée Aziz et ses compagnons
me renvoie à un tableau d’un grand peintre mexicain, Frida Kahlo,
qui fut l’épouse rebelle et déchirée de Diégo
Rivera.
A la suite d’un accident, Frida Kahlo eut le bassin, la colonne vertébrale
et un pied définitivement endommagés. Elle ne s’en remis
jamais en dépit de multiples interventions chirurgicales dont aucune
ne put la soulager. En 1946, elle peignit un autoportrait qu’elle appela
« l’arbre d’espoir » où elle exhibe au premier
plan un corset orthopédique tenu devant elle en même temps qu’un
petit drapeau porteur de cette simple phrase : « Arbre de l’espoir,
tiens bon ! ».
Au delà de toutes les interprétations et dans toutes les situations,
c’est d’abord de ce message de confiance et d’avenir dont
témoigne par elle-même toute œuvre de création, qu’elle
soit peinte ou écrite au Nord et au Sud, du Nord et du Sud.
Une exposition exceptionnelle:
Mahi BINEBINE - Miguel GALANDA
« Peintures à quatre mains »
Une exposition exceptionnelle et unique en son genre. Celle
d'œuvres nées de la rencontre entre deux artistes des deux rives:
le peintre-sculpteur espagnol Miguel GALANDA et le peintre-romancier marocain
Mahi BINEBINE.
Vingt-cinq toiles -dont la plus petite dépasse 1m30- réalisées
"à quatre mains" dans un atelier de Tarragone (Catalogne--Espagnole)
où elles ont été exposées pour la 1ère
fois en août 2001.
Grasse est la seconde étape de cette aventure, belle et singulière,
qui se poursuivra en Belgique, en Allemagne, en Italie…
Une exposition commune d'œuvres communes est chose plutôt rare
dans le milieu des artistes plasticiens. Plus qu'un partage c'est une fusion
comme le dit si bien Miguel Galanda: "à présent, il n'y
a plus aucune différence puisque nous travaillons à quatre mains
sur la même toile".
" Le fastueux univers "
de Jean-Pierre MILLECAM
Jean-Pierre MILLECAM depuis
cinquante ans écrit et il n'a pas fini de faire parler de lui. La critique
le place sans hésitation dans la lignée des grands écrivains
dont l'œuvre, nobelisable et universelle, survivra à l'époque.
Enfant de la Méditerranée, Jean-Pierre Millecam est né
à Mostaganem en 1927. Après des études à Alger,
il part enseigner à Tlemcen jusqu’en 1956.
Sa solidarité à l’égard des Algériens font
de lui aux yeux des ultras de « Algérie Française »
un renégat.
Victime d’un attentat et sauvé par miracle, il trouve refuge
au Maroc où il résidera jusqu’en 1993, date à laquelle,
il décide de rejoindre sa famille à Nice.
Découvert et publié par Camus
en 1951, Jean-Pierre Millecam est cité par Jean
Cocteau auquel il a consacré un essai, par Jules
Roy qui qualifiera, dans ses mémoires,
l'œuvre de J.P. Millecam de "fantastique et fastueux univers à
vous couper le souffle".
Il a publié près d'une vingtaine d'ouvrages, tous nourris de
ses racines -et de son parcours- méditerranéens, parmi eux des
nouvelles, du théâtre et des sélections aux prix littéraires
dont le Renaudot 1999 pour "Trois naufragés du royaume" (Editions
des Syrtes 99). Dans son dernier livre "Tombeau de l’Archange"
(Editions du Rocher 2001), on retrouve le professeur Lancelot, son personnage
mythique, son autre lui même.
Jean-Pierre Millecam a également publié notamment : aux éditions
Gallimard Hector et le Monstre(1951); Et je vis un cheval pâle (1978);
Un Vol de chimères (1979); Une légion d’ange (1980) Choral
(1982); aux éditions Denoël Sous dix couches de ténèbres
(1968); aux éditions Calmann Levy, La quête sauvage; aux éditions
La Table Ronde Le défi du petit archer (1988); Longtemps je me suis
douché de bonne heure (1990).
Alain GORIUS,
éditeur et galeriste
Alain GORIUS, vit et travaille à Paris
et à Casablanca. Enseignant, journaliste, il est aussi un découvreur
et diffuseur de talents à travers la maison d'édition et la
galerie d'art contemporain dénommées toutes deux El Manar, qu'il
dirige, à Paris, et à Casablanca.
Poète*, Alain Gorius aime poser les mots sur les couleurs.
Il édite principalement des livres de collections, véritables
"ouvrages de bibliophilie". •Deux recueils de poésie:
"Au creux du monde" et "Sang noir".
Un survivant de l'Enfer
:
Aziz BINEBINE
Le dernier cercle de l'enfer créé par des hommes, Aziz Binebine
l'a connu dans le bagne-mouroir de Tazmamart où il a été
enfermé avec des dizaines d'autres militaires à la suite de
la tentative de coup d'Etat de Skirat (1971) et dont il est l'un des rares
rescapés.
De ces années terribles de silence et de peur dont le Maroc d'aujourd'hui
est décidé à parler librement, de nombreux témoignages
existent dont celui de Ahmed Marzouki « Tazmamart, cellule 10 »
(Editions Paris Méditerranée). L'histoire d'Aziz Binebine a
elle été utilisée comme trame du livre « Une aveuglante
absence de lumière » par Tahar Benjelloun (Editions du Seuil)
Aziz Binebine :
" Plus que l'espoir, le refus de la haine
et de la vengeance "
Je pense tout simplement que l'art et la mémoire sont indissociables.
L'art s'alimente de la mémoire et la mémoire subsiste dans l'art;
c'est le cas de l'œuvre de mon frère Mahi Binebine qui est imprégnée
jusqu'à l'obsession par le bagne de Tazmamart dont je ne vous parlerais
pas spécialement car beaucoup l'ont fait.
Depuis ma libération c'est la première fois que je prends la
parole en public. Et en ces temps de violence, d'intolérance et de
haine je veux parler de paix et de pardon, de mon expérience personnelle,
de cette flamme qui n'a cessé de brûler en moi tout au long de
ces années d'enfer au mouroir de Tazmamart.
Plus que l'espoir c'était le refus de la haine et de la vengeance,
ces venins de l'âme, qui m'a permis de survivre hier et de revivre aujourd'hui.
C'est à ce prix que j'ai pu lutter contre la faim, la vermine, la maladie
et la mort. C'est à ce prix que j'ai pu revivre normalement et rebâtir
un foyer.
C'est cette paix et cette sérénité intérieures
qui m'ont permis de réintégrer la société et "regarder
à nouveau le soleil en face". J'ai appris dans la souffrance que
la foi permettait de soulever des montagnes, mais qu'elle ne le pouvait que
par l'amour.
Mes amis, Jésus est amour, Mahomet est pardon, Moïse est justice,
Bouddha est sérénité et l'Homme, c'est à dire
vous et moi, sommes tout ceci à la fois. Si nous le voulons bien.
Comment pourrais-je parler de vengeance ou de rancune quand je vis dans un
pays qui marche en chancelant.
Comment pouvons-nous parler de différences (différences d'origine,
de foi, de cultures et de je ne sais quoi encore) lorsque nous vivons une
époque où la civilisation et l'ordre des choses menacent de
s'effondrer, où l'intolérance est devenue loi et la vengeance
justice.
Notre seul espoir est dans l'union et l'acceptation de nos différences.