Novembre 2005

XVIII° Festival TransMéditerranée saison 2005-2006

TURQUIE : PAYSAGES HUMAINS

C’est une Turquie en mouvement, mosaïque de peuples et de cultures, riche de ses nombreux héritages que le FTM propose de découvrir à travers ses artistes, ses militants des droits de l’homme, ses journalistes et chercheurs.

Qu’elle soit laïque et musulmane, kurde et arménienne, géorgienne ou albanaise, d’Orient et d’Occident, ce que l’on retient de la Turquie, de son histoire récente et de son actualité, ce sont plutôt des noms  comme Ataturk, Nazim Hikmet, Layla Zana, Yechar Kemal… sans parler de ses sites et de ses villes, véritables merveilles du monde, visités chaque année par des millions de touristes.

Le Festival TransMéditerranée a reçu à Grasse à partir du 8 novembre artistes, conférenciers et écrivains, militant(e)s des droits de l’homme, responsables associatifs.. vivant en Turquie et en France.

Le coup d’envoi a été donné mardi 8 novembre au Palais des Congrès :

18h30 : vernissage des expositions

19h30 : conférence « la Turquie en mouvement » par Ali KAZANCIGIL, politologue, Secrétaire général du Conseil International des Sciences sociales (UNESCO) et Président du Conseil Scientifique de l’Université des Nations Unies, auteur notamment de La Turquie au tournant du siècle (L’Harmattan 2004) qu’il a dédicacé au cours de la soirée.


Latifa Madani et Ali Kazancigil

L’inauguration a lieu en présence notamment des artistes exposants, du conférencier et de Gunseli KAYA, dirigeante de la fondation des Droits de l’Homme à Izmir.

Le vernissage a été suivi d’un cocktail de spécialités arméniennes.

         

             Mehves Demiren, Günseli Kaya       Dora Günel, Kemal Cengizkan              Onay Akbas


     

Pendant l'inauguration...

 

Présentation de
Paul Euzière
Président du FTM

"Paradoxale Turquie..."

  Depuis l’origine, les manifestations du Festival TransMéditerranée ont souvent « collé », de façon parfois prémonitoire, à l’actualité du moment, quand elles ne l’ont pas précédée...

Alors, disons-le d’emblée, ce n’est pas le quelque peu surprenant débat franco-français du printemps dernier à propos de l’élargissement de l’Union Européenne qui nous a conduit à mettre la Turquie à l’honneur de cette XVIIIè saison du FTM.

Que ce pays - grand à la fois par sa taille (1750 Km de sa frontière européenne à ses frontières asiatiques, à cheval sur deux continents), grand par une histoire qu’il n’a cessé depuis toujours de partager avec l’Europe- fasse ou non partie de l’Union Européenne n’a, pour ce qui nous préoccupe ici, finalement que peu d’intérêt. Qui pourrait amputer l’Europe, son histoire et sa civilisation, de Constantinople, Byzance, Istanbul, Soliman le Magnifique, de la république d’Atatürk née sous le modèle européen précisément du remodelage des empires européens après la première guerre mondiale et non pas d’une quelconque dynamique asiatique ou autre ?

  Par son histoire, comme par ses choix depuis le mouvement de réformes du Tanzimat (qui débuta en 1839 et s’acheva en 1878), la Turquie et auparavant déjà l’Empire Ottoman se sont tournés vers l’Europe. Cela est incontestable comme est incontestable la dimension méditerranéenne de la Turquie qui est la raison profonde de cette manifestation. La Turquie est en effet un des grands pays de la Méditerranée.

Au printemps 2003, une délégation du Festival TransMéditerranée, accompagnée du troupe de théâtre des Bouches du Rhône, s’est rendue à l’extrême Est de la Turquie au Festival de culture kurde de Dogubayazit, grande ville située au nord du Lac de Van, à quelques kilomètres de la frontière avec l’Iran, non loin du mont Ararat, cher au cœur des Arméniens. A cette occasion, nous avons pu nous rendre compte de la complexité de la réalité turque d’aujourd’hui qui ne peut se réduire ici, moins encore qu’ailleurs, à quelques formules à l’emporte-pièce.

Nous étions là, dans cette région aujourd’hui incontestablement kurde, pendant des centaines d’années et depuis le Tigrane le Grand au Ier Siècle de notre ère et tout aussi incontestablement arménienne, dans un festival de musique, de théâtre, avec des conférences et des milliers et des milliers de participants.

On y parlait turc, mais aussi massivement et très officiellement kurde. Et dans cette région qui a subi une véritable guerre pendant des années, avec des milliers de villages détruits par l’armée, où la seule utilisation de la langue kurde valait la prison, il y avait des étals avec des dizaines de livres en langue kurde et on présentait -en kurde- « Lysistrata », pièce d’un auteur grec ancien ;Aristophane. On était donc loin de « Midnight Express » et même de « Yol » de l’inoubliable Ylmaz Güney.
Mais que de facettes ! Que de paradoxes !

  S’il fallait qualifier d’un trait la Turquie d’aujourd’hui, ce serait mettre en évidence, au-delà de ses  visages, son caractère profondément paradoxal dont témoignent avec un talent de plus en plus reconnu internationalement ses créateurs, céramistes, romanciers, plasticiens et photographes.

C’est cette Turquie en mouvement, avec ses questionnements, ses doutes, ses tentations contradictoires si proches des nôtres, avec aussi cette peu commune énergie, que le Festival TransMéditerranée a choisi de présenter cet automne.

  Parmi nous donc pour témoigner de ces réalités, un plateau exceptionnel de personnalités aux itinéraires très différents que je vais vous présenter.
En commençant par les artistes :

  Mme Mehves Demiren, d’Istanbul, devenue céramiste après des études à l’Université de Strasbourg puis à Londres.
  Mehves Demiren a exposé à Amsterdam, Bruxelles et Paris

  M.Onay Akbas qui est née à Fatsa, dans le Nord de la Turquie, a étudié aux Beaux Arts d’Istanbul, vit et travaille maintenant à Paris.

  Nos deux amis photographes Kemal Cengizkan et Dora Günel que nous avons rencontrés au Festival de Dogubayazit, qui sont respectivement ingénieur et directeur d’entreprise, l’un et l’autre d’Ankara, mais qui vivent à Istanbul et qui partagent la même passion pour la photo. L’exposition qu’ils nous présentent ici est très originale puisqu’il s’agit d’une monographie d’une impasse d’Istanbul -la rue Kalpaci- dont ils ont saisi pendant des années, et avec la complicité de tous les habitants, la vie quotidienne avec ses joies et ses peines. Kemal a débuté la photographie en 1968 et a été président de l’Association des Artistes Photographes d’Ankara de 1977 à 1986. Il est un des fondateurs de la « Fondation de la Photographie ». Dora a débuté dans la photo en 1978 et a suivi pratiquement le même chemin que Kemal. Il a, en outre, enseigné à l’Ecole de Photographie d’Istanbul.
Avec eux, deux grands témoins :

  Mme Günseli Kaya qui est dirigeante de la Fondation des droits de l’homme depuis 1988 et militante féministe et qui arrive de la grande ville  d’Izmir. Mme Günseli Kaya a été plusieurs fois arrêtée et torturée. Pendant les années où elle assurait la présidence de la section départementale d’Izmir, de 2000 à 2002, 37 procès ont été intentés contre elle. En 2000, Günseli Kaya a été condamnée à 18 mois de prison pour avoir participé aux funérailles d’un prisonnier politique mort dans une prison d’Ankara. Je ne peux m’empêcher en disant cela, de dire une fois encore, que les femmes de Méditerranée sont tout sauf soumises et qu’elles contribuent souvent en en payant un prix très élevé à faire évoluer les choses dans le bon sens dans leur pays respectif et aussi pour tout l’Humanité. Merci donc pour votre courage de femme turque et l’exemple que vous nous donnez à tous, Günseli Kaya !

Enfin, mais il ne s’agit pas ici évidemment d’un ordre protocolaire ou de mérite,

  M. Ali Kazancigil qui est le Secrétaire Général du Conseil International des Sciences Sociales auprès de l’UNESCO et membre du Conseil Scientifique de l’Université des Nations Unies. M. Ali Kazancigil a été également correspondant particulier du journal « Le Monde »à Ankara. Il est l’auteur de plusieurs livres que je me permets de recommander à tous ceux qui cherchent à connaître et à comprendre. Il dédicacera, après sa conférence : « La Turquie au tournant du siècle » et La Turquie » -ouvrage collectif exhaustif qui vient d’être publié aux Editions Fayard.

  En intitulant cette manifestation « Turquie, paysages humains » nous avons voulu faire immédiatement percevoir toute la diversité des femmes et des hommes de ce pays, faire mesurer aussi combien proche est la Turquie de 2005 dont la jeunesse est aujourd’hui dans ses rêves et ses espérances bien plus proche des jeunes français de ce siècle que de ses grands-parents ou arrière-grands-parents qui eurent 20 ans dans l’Empire Ottoman.

En même temps, « Paysages humains » est le titre du superbe recueil d’un poète, d’un grand pète, un fondateur rayonnant et légendaire de la littérature moderne turque qui a subi de terribles épreuves de prison et d’exil dans sa vie : Nazim Hikmet. Nous voulons aussi rendre hommage à cet immense poète turc et universel, mort en exil à Paris, mais qui n’a jamais, malgré les coups reçus, cessé de proclamer sa confiance en l’homme.

C’est donc par un poème de Nazim Hikmet que je conclurai cette trop longue et pourtant partielle présentation. Il s’intitule « Ce pays est le nôtre » et a été écrit en 1948 :


« Ce pays qui ressemble à la tête d’un jument,
Venu au galop de l’Asie lointaine
Pour se tremper dans la Méditerranée,
Ce pays est le nôtre

Poignets en sang, dents serrées, pieds nus,
Terre qui ressemble à un tapis en soie
Cet enfer, ce paradis est le nôtre.

Que les portes se ferment qui sont celles des autres,
Qu’elles se ferment pour toujours
Que les hommes cessent d’être esclaves des hommes,
Cet appel est le nôtre.

Vivre comme un arbre, seul et libre,
Vivre en frères comme les arbres d’une forêt,
Ce rêve est le nôtre. »


Ce rêve fraternel était celui du Turc Nazim Hikmet.
Il demeure aussi le nôtre celui de nous tous, amis de Turquie à qui nous souhaitons aujourd’hui une chaleureuse bienvenue.

 

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